Si les emplois dans l’industrie ont baissé de 30 % depuis les années 70 en France, ce secteur est redevenu créateur net d’emplois depuis 2017. Un regain qui lui permet de conserver sa position de pilier de l’économie française. Comment conserver cette dynamique, dans l’industrie textile en particulier ? Quels sont les nouveaux enjeux de l’emploi industriel ?

Fondé en 2012, le salon de Made in France (MIF) est passé de 15 000 à 80 000 visiteurs en 2019, et de 70 à 570 exposants. Il se tenait du 8 au 11 novembre 2019, portes de Versailles, à Paris. L’occasion de présenter la fabrication française au public et de rassembler créateurs, entrepreneurs et décisionnaires. C’est aussi le moment d’assister à plusieurs conférences, dont celle traitant de l’impact du Made in France sur l’emploi.
Les intervenants – Guillaume Gibault, président du Slip français. – Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Économie et des finances (interview réalisée en novembre 2019, N.D.L.R.). – Thomas Huriez, président de 1083. – Gabriel Colletis, professeur d’Économie à l’Université de Toulouse 1 Capitole et Président de l’Association du manifeste pour l’industrie.
Peut-on mesurer la situation du Made in France?
Gabriel Colletis : « En France, on peut estimer qu’un tiers des produits consommés sont produits en France. Le reste est importé. Il y a un souci de compétitivité, avec une dépendance trop forte aux importations.
Agnès Pannier-Runacher : « Depuis le début des années 1980, deux millions d’emplois ont été perdus dans l’industrie textile. Mais depuis 2017, ce sont environ 23 000 emplois qui ont été créés, avec des délocalisations, des relances de savoir-faire, etc. »
Cette destruction d’emplois n’a-t-elle pas fait disparaître certains métiers ?
APR : « Rien n’est totalement perdu. Par manque de transmission, certaines compétences sont en voie d’extinction, mais des filières anciennes, comme la filature, renaissent grâce à la volonté d’acteurs français. L’industrie recrute, avec une explosion de l’apprentissage. »
GC : « Il y a un problème d’attractivité du secteur industriel en France. Ce type d’emploi doit être mieux qualifié. »
« Le rapport à l’entreprise doit changer. »
Thomas Huriez
Thomas Huriez : « Cette attractivité, c’est notre responsabilité. On doit changer notre rapport à l’entreprise et l’industrie. Il faut “marketer“ les métiers industriels, par exemple en restaurant des anciennes usines, comme le projet Jourdan que 1083 développe à Romans-sur-Isère. Ce type de projet peut amener des flux différents avec du tourisme, etc. »
Guillaume Gibault : « Il faut donner ses lettres de noblesse à la culture industrielle. Par exemple, nous avons été les premiers à faire un Facebook live dans notre usine. Ça nous a permis de mettre en valeur nos méthodes de productions et le travail de nos employés. La fabrication française est un choix, où on ne veut pas seulement gagner de l’argent. C’est aussi de l’innovation, dans des métiers qui ont finalement peu changé. »
Il y a un problème d’image par rapport à l’industrie ?
APR : « Il faut changer la vision de l’industrie. Nous avons notamment fait une tournée d’été en 2019, avec la BPI (Banque publique d’investissement), pour promouvoir tous les métiers qu’offre l’industrie. La formation doit être valorisée : on doit faire cela par passion, pas par défaut. Le regard des jeunes, notamment des filles, doit changer : les femmes aussi peuvent aller vers l’industrie. Il y a aussi une manière de recruter qui doit changer. »
TH : « J’aime l’idée que derrière le mot “ouvrier“, il y a le mot “ouvrage“. Qualifier les opérateurs d’ouvriers, c’est déjà donner plus de sens à ce métier, valoriser le travail mené. »
GC : « Le problème d’image est central. On doit passer par une autre vision du travail. Si l’image est dégradée, on n’avancera pas. La compétitivité doit passer par l’innovation et la qualité du produit plutôt que par le coût du travail, que l’on veut systématiquement baisser. »
N’y a-t-il pas un changement de mode de consommation à effectuer ?
APR : « On doit passer d’une consommation de masse à une consommation de qualité. »
GC : « La durabilité des produits est centrale. Concevoir un produit durable et réparable, c’est changer de paradigme. La compétitivité économique ne doit pas être une contrainte, mais un axe pour se reconstruire. Se dire : “Comment faire quelque chose qui dure, au bon prix ?“. »
« Il faut consommer moins, mais mieux. »
Guillaume Gibault
GG : « C’est un nouveau modèle d’entreprise à créer. On ne peut plus ignorer l’impact économique et écologique de notre consommation. Il faut évoluer pour consommer moins, mais mieux. On doit se poser les bonnes questions sur les produits que nous achetons. L’économie circulaire, par exemple, doit être au coeur des consommations futures. »
TH : « Grâce à la loi Pacte, on peut plus facilement tendre vers l’économie circulaire. Avec Le Slip français, nous avons investi en recherche et développement pour recréer une filière de tissage du coton à partir de vieux vêtements. Cela va nous permettre de détisser les habits pour réutiliser la matière sans avoir besoin de planter des champs de coton.»
Un ancrage local peut avoir son importance dans ce changement de consommation ?
GC : « Cet ancrage joue sur les compétences externes à l’entreprise. Cela permet de constituer une filière économique dans les territoires. »
APR : « C’est un cercle vertueux. Pour un emploi industriel, ce sont trois à quatre emplois indirects qui sont créés. Il y a un véritable enjeu de reconquête industrielle. Les réimplantations industrielles font redémarrer l’économie d’une ville ou d’un secteur, ce que l’économie de service ne peut pas, ou moins, faire, car elle crée moins d’emplois indirects. »
TH : « Surtout, il faut se diversifier. Nous devons savoir tout faire, sans dépendre d’acteurs extérieurs ou étrangers. En relançant des filières, cela permet aussi de créer une entraide entre fabricants et donc un tissu industriel. »
GG : « Thomas l’a dit, cette entraide est vitale. Depuis 2011, Le Slip français a créé 200 emplois indirects. Les ateliers avec lesquels nous travaillons sont de véritables partenaires que nous soutenons et aidons, en leur donnant des commandes fermes à six mois et potentielles à un an. Cela leur permet de recruter en connaissance de cause et de sécuriser leurs investissements. »
Le patriotisme économique serait la solution ?
APR : « Les consommateurs doivent devenir des “consommacteurs“. Consommer, c’est un acte politique fort, qui doit être développé pour comprendre une filière. La transition vers ce modèle n’est pas une option, mais plutôt une urgence, vu le contexte écologique et économique actuel. »
GC : « Les entreprises doivent pouvoir mettre en valeur les produits conçus en France, pour valoriser leur modèle économique. Les questions de qualité et de transition économique sont vitales. Elles concernent tout le monde : consommateurs et acteurs publics. Chacun doit changer. »

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